Aujourd'hui, Yannick m'a battu. Sa mère, qui
nous regardait par la fenêtre de la cuisine pendant qu'on jouait
au jardin, a crié sévèrement :
" Arrête, voyons ! Tu vas le démolir !
- Ben quoi ? a répondu Yannick en m'envoyant un grand coup de pied
dans la mâchoire. Vaut mieux que je me défoule sur mes jouets
que sur ma petite sur, non ? "
Ce n'était pas faux, madame Delmotte a bien été forcée
de l'admettre. D'ailleurs, le vendeur des Grands Magasins réunis
a insisté sur ce point en remplissant le bordereau d'achat. Je
connais l'histoire par cur, les Delmotte l'ont racontée à
tous leurs amis : " Le HD 22 est recommandé pour les enfants
nerveux par de nombreux pédopsychiatres, leur a-t-il affirmé.
C'est un modèle très résistant, d'une passivité
exemplaire. "
Et comme madame Delmotte hésitait à cause du prix, somme
toute assez élevé, il a précisé que je jouissais
du label de conformité délivré par la CCCUD (Commission
de contrôle des clones à usage domestique). " L'agressivité
du HD 22 est inhibée par lasérisation de certaines zones
cervicales. Quel que soit son mode d'utilisation, ce jouet ne présente
donc aucun danger. Une telle sécurité ne justifie-t-elle
pas un petit effort financier ? "
Ce dernier argument a décidé monsieur Delmotte. Depuis quelques
années, les accidents dus aux rebellions de clones maltraités
défraient régulièrement la chronique, ce qui, malgré
l'engouement des jeunes pour ce " compagnon de jeu idéal "
(comme dit la pub !) fait encore hésiter certains parents.
Yannick était fou de joie. " Un HD 22 ? Pour moi ? Wah, le
top du top ! Tous mes copains vont en être verts de jalousie ! "
Malgré sa nature remuante, il s'est soumis sans broncher aux prélèvements
nécessaires à la duplication. Et c'est ainsi que je me suis
retrouvé, au Noël suivant, devant leur sapin.
Ah, ça, pour être bien accueilli, je fus bien accueilli !
Yannick m'a sauté au cou, embrassé, serré dans ses
bras, couvert de caresses. " T'es encore mieux qu'un frère
jumeau ! me répétait-il sur tous les tons. T'es moi
Et moi, je suis mon meilleur ami ! " Cette réaction
si spontanée, si pleine de naïveté et de fraîcheur,
m'a ému aux larmes
Normal : l'affectivité des HD 22 est surdéveloppée.
C'est notre principal argument de vente. Le slogan " Besoin d'amour
? Votre clone New Generation vous aimera plus que vous-même ! "
est aujourd'hui sur toutes les lèvres. L'avènement des "
double-cur ", comme on nous appelle familièrement, a
mis au rancart les vieux HD 18, 19 et 20, jugés trop indifférents,
voire trop égoïstes. Trop humains, en somme
Les premiers temps, avec Yannick, c'était génial. On ne
se quittait plus. Il délaissait tous ses copains pour moi, et si
les clones n'avaient pas été interdits dans les établissements
scolaires, il m'aurait même emmené en classe.
Puis, petit à petit, les choses se sont gâtées
C'est le lot de tous les jouets, même vivants : au début,
on les adore, on en prend soin ; ensuite, on s'en lasse et on les abîme.
Là, j'ai des bleus partout, un il poché. Après
m'avoir rossé tout son soûl, Yannick m'a laissé par
terre, en piteux état, et est parti regarder un film à la
télé. Du coup, Julia, sa petite sur, a entrepris de
me soigner.
" C'est comme si je jouais au docteur avec mon frère, mais
en mieux ! m'a-t-elle confié en rigolant. Parce que toi, au moins,
tu te laisses faire. Et puis, tes blessures sont de vraies blessures
! "
L'ennui, c'est que l'armoire à pharmacie est hors de sa portée.
Alors, elle a fait ce qu'elle a pu : elle a badigeonné mes plaies
de confiture, et sur mon il blessé elle a placé une
compresse de jus d'orange. Ça pique affreusement.
Je lui ai quand même dit merci, pour ne pas la décevoir
* * *
Aujourd'hui, Yannick m'a coupé un doigt. Ce
sont mes cris qui ont alerté sa mère. Elle est accourue
et lui a arraché le couteau de cuisine des mains. Elle était
très fâchée.
" Au prix où nous avons payé ce clone, si c'est pas
malheureux ! fulminait-elle. File dans ta chambre, vilain garnement
! "
Comme je répandais du sang partout, elle m'a mis dehors. Il pleuvait.
Je me suis accroupi tout contre la porte et j'ai fixé, en pleurant,
la petite mare rouge qui se formait sur le seuil, devant moi. La douleur
cognait jusque dans ma tête, j'avais froid, j'étais triste,
je me sentais seul et abandonné. Malgré la menace du cataplasme
au jus d'orange - ou au ketchup, ou à la moutarde, ou à
la purée de marrons -, j'aurais bien aimé que Julia vienne
me consoler. Mais elle n'a pas eu le droit de sortir, à cause
du mauvais temps.
Après, la pluie a redoublé et la petite mare rouge est
devenue rosâtre, avant de se délayer complètement.
Je suis bien content : madame Delmotte n'aura pas besoin de nettoyer.
Maintenant, j'ai arrêté de saigner mais je grelotte de
fièvre. Une chance, la fièvre, ça ne salit pas.
Si je m'évanouis, peut-être que madame Delmotte me laissera
rentrer ?
* * *
Hier soir, monsieur Delmotte a dû appeler le
service après-vente des Grands Magasins réunis parce que
mon doigt - enfin, l'emplacement de mon doigt - s'était infecté.
J'ai eu droit à une dose massive d'antibiotique et à un
gros pansement cicatrisant. Ça n'a rien coûté parce
que je suis encore sous garantie, mais le réparateur a signalé
que c'était exceptionnel : normalement, les dégâts
commis par l'utilisateur sont à sa charge.
" C'est comme cet il, a-t-il dit à Yannick en examinant
ma paupière tuméfiée. Tttttt, faut faire attention
à tes affaires, bonhomme ! Ça te plairait d'avoir un clone
borgne ?
- C'est pas moi, c'est ma sur ! " a protesté Yannick.
Julia a fait un bond en l'air.
" Oh, l'autre ! C'est pas toi, peut-être, qui lui a fichu
une beigne, espèce de sale menteur ?
- Mes beignes, elles sont moins pires que tes compresses débiles,
figure-toi ! "
Monsieur et madame Delmotte ont échangé un regard irrité.
" Du calme, les enfants ! Si, en plus, ce jouet est une cause de
dispute entre vous, nous allons finir par regretter notre achat ! "
Ça m'a rendu terriblement malheureux !
* * *
On a parlé de nous, à la télé.
Une émission très polémique, avec débat
et tout et tout. Parce que l'utilisation des clones telle qu'elle se
pratique aujourd'hui est loin de faire l'unanimité. Que nous
servions de banque d'organes ou de cobayes pour la recherche, tout le
monde approuve, évidemment : au départ, nous avons été
créés pour ça. C'est notre commercialisation qui
pose des problèmes. Notre " prolifération ",
comme disent certains. Paraît que c'est inquiétant
L'animateur parlait d'HD 17, 18 et 19 devenus " des éléments
incontrôlés. [
] Ces anciens modèles, de plus
en plus nombreux à prendre le maquis, constituent un véritable
fléau, comme en témoigne le reportage exclusif de notre
envoyé spécial, filmé au téléobjectif
dans le camp d'insurgés de la forêt de Fontainebleau. Attention,
certaines séquences peuvent choquer ; jeunes enfants et âmes
sensibles, s'abstenir ! "
Madame Delmotte a envoyé Julia se coucher mais nous a permis
de rester, Yannick et moi.
C'est vrai que c'était impressionnant ! Jamais je n'avais vu
autant de clones rassemblés - sauf au défilé du
14-Juillet. Y en avait des milliers, toute une foule
On nous les
a d'abord montrés de loin, puis le cameraman a zoomé.
Et, malgré la mauvaise qualité de l'image, j'ai pu reconnaître,
côtoyant des rebelles anonymes, un certain nombre de personnages
célèbres, mutilés ou défigurés pour
la plupart. Des présidents de la République en triple
ou en quadruple exemplaire, par exemple. Tous victimes d'attentats à
la place de leur modèle. Ou des doublures d'acteurs connus ayant
survécu à des cascades ratées. Et même quelques-unes
de ces reproductions de top models qu'on trouve en vente par correspondance
dans les revues for men only qu'achète monsieur Delmotte
" Que revendiquent exactement ces dissidents ? a demandé
l'animateur à l'un de ses invités, un sociologue, je crois.
- Les mêmes privilèges que nous : citoyenneté
à part entière, droit de vote, salaires décents,
sécurité sociale, etc.
- Ben, ils sont gonflés ! s'est indignée madame Delmotte.
Et pourquoi pas le chômage, tant qu'ils y sont ! "
Son mari lui a fait signe de se taire. D'autant que le représentant
du CDC (Comité de défense des clones) prenait la parole
:
" Ces revendications, bien qu'excessives, ne sont pas totalement
dénuées de fondement. Le clone est-il moins "humain"
que le modèle dont il est issu ? La question mérite d'être
posée. Dans la Bible, il est écrit que Dieu a créé
Adam à son image et à sa ressemblance - d'où notre
essence divine. Qu'avons-nous fait d'autre, nous, dieux modernes, en
concevant le clone, ce nouvel Adam, cette copie conforme de son créateur
- c'est-à-dire l'homme -, élaborée à partir
d'une de nos cellules ? "
Des protestations se sont élevées sur le plateau.
" Vous jouez sur les mots !
- Vos comparaisons sont intolérables !
- Les clones ne sont que des produits fabriqués à la demande,
et rien de plus ! Il s'en vend chaque jour des milliers, au même
titre que des ordinateurs ou des lave-vaisselle. Allez-vous prétendre
que les lave-vaisselle eux aussi sont humains ? "
Attaqué de toute part, le représentant du CDC a haussé
le ton pour dominer le brouhaha.
" À la différence d'un quelconque appareil ménager,
le clone, en tout point notre semblable, éprouve, comme nous,
des joies, des peines, des souffrances, des désirs
-
et des ambitions ! l'a interrompu le sociologue. Ce
qui nous permet de redouter le pire si cette rébellion n'est
pas rapidement jugulée !
- À qui la faute, cher monsieur ? Nous avons établi une
nouvelle forme d'esclavage - largement pire, à mon avis, que
celle de l'Antiquité. Plus pernicieuse, en tout cas. Et surtout
plus dangereuse. Qui fait fonctionner la société, aujourd'hui
? Les clones, encore les clones, toujours les clones ! Sous notre contrôle,
certes, mais pour combien de temps encore ? Que ce soit sur les chantiers,
dans les usines, dans les secteurs à risques comme le nucléaire,
dans l'armée ou dans la police, la main-d'uvre humaine
n'existe quasiment plus. Il y a des années que les quotas sont
dépassés. La duplication en série fonctionne à
plein régime, au détriment de la prudence la plus élémentaire
- Les coûts de fabrication baissent d'année en année,
a signalé l'animateur d'une voix neutre. Grâce aux progrès
de la génétique, le matériel le plus performant
est aujourd'hui à portée de tous. Rares sont les familles
qui n'ont pas au moins un clone domestique
- C'est justement là le nud du problème ! La vie
des clones a de moins en moins de valeur : aujourd'hui, en acheter un
nouveau coûte moins cher que de faire réparer l'ancien,
même atteint d'un simple rhume. Résultat : un gaspillage
éhonté. On ne compte plus les clones victimes de la négligence,
de la distraction, voire du sadisme de leur propriétaire. Combien
d'entre eux meurent de malnutrition ou succombent à des jeux
pervers ? Hier, encore, on a ramené dans mes services une petite
Winona Ryder qui avait servi de cible à un club de tir à
l'arc. Il a fallu l'achever : elle était irrécupérable
De telles pratiques sont-elles acceptables ? "
Depuis un moment, le sociologue donnait des signes de nervosité.
De toute évidence, il n'était pas d'accord.
" Vous oubliez que ces "pratiques", comme vous les
appelez, ont fait chuter de soixante-dix pour cent la criminalité
en moins de cinq ans ! N'est-ce pas un résultat appréciable
? "
J'ai cru que le représentant du CDC allait le mordre. Il a retroussé
les babines, comme les chiens quand ils montrent les crocs. Ça
lui donnait un air méchant. Même s'il semblait nous avoir
" à la bonne ", je trouvais ce type de moins en moins
sympathique.
" Certes, mais que pensez-vous de ces combats à mort
dont se délecte le peuple, ou de ces séances de torture
in life, pratiquées dans tous les lieux branchés ?
N'est-ce pas, quelque part, "criminel" également ?
Et cela ne justifie-t-il pas, d'une certaine manière, la révolte
des clones ?
- Là, vous exagérez ! a bondi l'animateur, indigné.
Il faut bien que le peuple s'amuse, même si ses distractions
ne sont pas toujours de très bon goût
D'autre part,
je tiens à rappeler que cette révolte - "légitimée"
en quelque sorte par votre discours, qui me paraît pour le moins
suspect ! - est le fait d'anciens modèles. Les HD 22 - et bientôt
les 23, qui seront sur le marché dans quelques semaines - ont
des normes de fabrication très strictes qui rendent tout "dérapage"
impossible. "
Ça, ça m'a rassuré. Les Delmotte aussi.
" On a eu raison d'écouter le vendeur ! a dit monsieur Delmotte.
Tu vois, chérie, la qualité, c'est peut-être un
peu plus cher à l'achat mais, à terme, on s'y retrouve.
"
Le compliment m'a fait rougir de plaisir.
* * *
Ce matin, aux nouvelles, on a annoncé que tous
les camps de rebelles avaient été massivement bombardés.
Les Delmotte ont poussé un soupir se soulagement.
" Ouf, le problème est réglé, a dit monsieur
Delmotte. On n'est pas passés loin de la catastrophe
"
Madame Delmotte a pris le temps d'avaler sa gorgée de café
avant de lancer :
" N'empêche, si les services de voirie avaient supprimé
d'office tous les vieux modèles, la question ne se serait même
pas posée !
- Pourquoi ? a demandé Yannick.
- D'où tu crois qu'ils viennent, tous ces dissidents ? Des poubelles,
tout simplement ! Les gens jettent leurs clones hors d'usage, mais il
se trouve toujours des petits malins pour les récupérer,
les rafistoler et les refourguer à bas prix. Ou pire, les lâcher
dans la nature. Et voilà le résultat ! "
Yannick n'en revenait pas.
" Y a des idiots qui réparent ces vieux trucs tout pourris
?
- Oui, des "amis des clones" dans le genre de celui que tu
as vu la semaine dernière à l'émission
Des
illuminés qui voudraient nous faire croire que les clones ont
une âme !
- Tu n'as jamais entendu parler de leurs hôpitaux clandestins
? est intervenu monsieur Delmotte. On y pratique même des opérations
chirurgicales !
- Moi, quand je serai grande, je ferai infirmière de clones !
", a affirmé gravement Julia.
Son frère l'a fusillée des yeux.
" Bois ton lait au lieu de raconter des bêtises !
- Par bonheur, a continué monsieur Delmotte, ce genre de pratiques
est en train de disparaître. Le gouvernement a pris des mesures
radicales : les ordures sélectives. Dans quelques jours, on n'aura
plus le droit de jeter ses vieux clones avec les déchets ménagers.
Des containers spéciaux, fermés à clé, seront
placés dans les rues, comme pour la collecte de verre usagé.
Et toutes les semaines, un camion-benne les emportera à l'usine
d'incinération, de sorte que seuls les spécimens fiables,
en bon état physique et mental, resteront en circulation
- Comment on jettera nos clones si les containers sont fermés
à clé? a demandé Julia.
- Par une petite trappe spécialement prévue à cet
effet. Mais comme ils ne pourront pas rentrer d'un seul bloc, faudra
les découper avant
"
Yannick a applaudi.
" Quand mon HD 22 sera fichu, c'est ce que je ferai ! "
L'idée semblait lui plaire. C'est vrai que, pour découper,
il est très fort, Yannick !
" J'aimerais mieux que tu me le donnes ", a dit doucement
Julia.
Et elle m'a souri.
* * *
Aujourd'hui, Yannick m'a cassé une jambe et
les deux bras à coups de marteau. Pas exprès, soi-disant,
mais je suis sûr qu'il a une idée derrière la tête
: recevoir un HD 23 pour le prochain Noël, dans un mois
Ces
nouveaux modèles, qui viennent de sortir pour les fêtes,
nous sont très supérieurs : quand on leur fait mal, au
lieu de crier, ils en redemandent. En plus, on peut choisir la couleur
de leur sang : y en a du vert, du bleu, du jaune, du fluo
Évidemment,
devant un perfectionnement pareil, moi, je ne fais pas le poids !
Quand Julia m'a vu, tout démantibulé et couché
dans le jardin sans plus pouvoir bouger, elle a pleuré. Mais
je souffrais tellement que ça ne m'a pas consolé. Je suis
pas un HD 23, moi !
Je ne vous dis pas l'engueulade lorsque madame Delmotte, alertée
par Julia, m'a trouvé ! Elle s'est jetée sur son fils
et vlan ! un aller-retour. Tout "double-cur" que je
suis, j'ai trouvé qu'il ne l'avait pas volé !
" J'en ai marre que tu détruises tous tes jouets ! hurlait-elle,
en me repoussant du bout de sa chaussure. Regarde-moi ça : ce
clone, tu l'as depuis un an à peine et il est déjà
bon pour la poubelle
- Bah, de toute façon, il était démodé
a reniflé Yannick.
- Toi, je te vois venir ! Mais ne te berce pas de faux espoirs, mon
p'tit bonhomme, on ne t'en achètera pas un autre ; nous n'avons
pas les moyens de t'offrir un clone chaque année !
- Je peux le prendre, m'man, au lieu qu'on le jette ? a demandé
Julia.
- Qu'est-ce que tu en feras ? Il est inutilisable.
- Je le soignerai !
- Si ça t'amuse
"
Elles s'y sont mises à deux pour me transporter dans la chambre
de Julia. Ah, ça, pour dérouiller, j'ai dérouillé
! Surtout quand Julia m'a laissé tomber juste sur mon bras cassé
! Mais bon, ça valait mieux que d'être balancé dans
le container !
On peut dire que Julia s'est donné du mal, pour moi ! Le pot
de chocolat à tartiner entier y est passé ! Puis elle
a entortillé mes fractures de bouts de chiffon et m'a fait des
piqûres d'eau avec une vieille seringue rouillée. Mais,
malgré toute sa bonne volonté, mes os se sont ressoudés
de travers et je suis resté paralysé. Alors, depuis, elle
me trimballe dans une vieille poussette et me donne à manger
à la petite cuillère, comme un bébé.
De temps en temps, elle m'emmène en promenade. On va jusqu'au
container, on écoute les gémissements des clones encore
vivants, et on revient. Peut-être qu'un jour, elle en aura marre
de moi. Alors, elle me découpera, mettra mes morceaux dans un
sac plastique et j'irai rejoindre mes frères - le tas de corps
pas tout à fait morts et de membres épars qui grouillent
dans le noir - pour un dernier voyage avant le passage au lance-flammes.
J'en rêve parfois, la nuit, dans mes cauchemars. Et quand je me
réveille, je suis tout bouleversé.
J'ai tant de peine à l'idée de la quitter, ma Julia…
© Mango Jeunesse, 2001
Pour
aller plus loin : voir dossier SF ET CLONAGE
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