JEUX DE CLONESpar Denis
Guiot
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Par cultures clonales, on entend le développement in-vitro de populations cellulaires descendant d'une seule cellule et, par conséquent, génétiquement homogènes. Des grenouilles ont déjà été clonées dans les années soixante par J.B. Gurdon, spécialiste de biologie cellulaire à l'Université d'Oxford. De la grenouille à l'homme, pour la S-F il n'y a qu'un pas : on prélève un fragment de tissu cellulaire sur un être humain. Ce tissu est " élevé ", nourri dans une cuve - ou matrice artificielle - et, après un certain temps, on obtient une parfaite réduplication de l'individu, un clone. Quant à la mémoire, celle-ci étant un processus holographique, on l'enregistre lors du prélèvement de cellules sur le sujet endormi, grâce à des électrodes implantées dans le cerveau et reliées à un ordinateur. Le jour de sa sortie de la cuve, de sa " naissance ", on la restitue au clone, double parfait du sujet bouturé au moment de l'enregistrement. Dans Phénix de Bernard Simonay (Rocher, 1986), le clonage transforme en réalité la légende qui prédit la réincarnation du Commandeur Darios et de sa compagne Lyana, lâchement assassinés cent cinquante ans auparavant par les prêtres amanes. Pour Roger Zelazny dans Aujourd'hui nous changeons de visage (Présence du Futur - To day we choose faces, 1972), le clonage est synonyme d'immortalité : chaque fois qu'un clone d'une même famille meurt, on ressuscite le suivant, dont la personnalité s'enrichit de celle de son prédécesseur et qui devient ainsi le dépositaire des qualités et des connaissances de tous ceux qui l'ont précédé. Quant à Adolf Hitler (écrivain émigré aux Etats-Unis dans le roman provocateur de Norman Spinrad Rêve de fer - Livre de poche, The Iron Dream, 1972), il utilise le clonage dans son roman de fantasy Le Seigneur du Svastika afin d'éviter la " tragédie de la contamination génétique " et de " créer le triomphe final de la pureté raciale " (c'est le triomphe des sociobiologistes, car cela revient à nier toute influence du milieu dans l'élaboration du phénotype). Marie Farca se penche sur les étranges relations qui peuvent exister entre un clone et la " Source " dont il est issu, tous deux étant d'authentiques jumeaux que des dizaines d'années peuvent séparer (Terre 1011, Présence du Futur - Complex Man, 1973). Les clones d'une même souche, munis du même " équipement mental ", sont-ils télépathes ? Ont-ils une conscience collective ? Que devient l'individu lorsqu'il est reproduit à plusieurs exemplaires ? Tels sont les problèmes posés par Kate Wilehlm dans Hier, les oiseaux (Présence du futur, Where Last the Sweet Birds Sang, 1976), Pamela Sargent dans Copies conformes (Club du Livre d'Anticipation - Cloned Lives, 1976) et Ursula Le Guin dans la nouvelle Neuf vies (Nine Lives, 1969, in Le Livre d'or d' Ursula Le Guin, Presses Pocket, 1978). On retrouve plusieurs femmes parmi les auteurs intéressés par le clonage. Est-ce à dire que le thème est particulièrement féminin ? Le clonage libère en effet la femme de la loi " naturelle " de l'enfantement et ne l'oblige plus à subir le diktat masculin. Mais le clonage, c'est avant tout le thème du double, magistralement exploité par John Varley dans Le Canal ophite (J'Ai Lu - The Ophiuchus Line, 1977). Il importe de bien comprendre que, lors de la " naissance " du clone (appelons le Lilo-6, comme l'héroïne du roman), la mémoire de ce dernier s'arrête le jour de l'enregistrement effectué sur le clone précédent, Lilo-5 . Or, beaucoup de choses peuvent arriver à Lilo-5 entre ce jour-ci et celui de la " naissance ", événements dont n'a pas connaissance, évidemment, le nouveau clone. Lilo-6 refuse d'être responsable des agissements de Lilo-5 survenus après l'enregistrement ; et pourtant elle sait qu'elle agirait exactement pareil dans les mêmes circonstances, puisque les deux Lilo sont des doubles parfaits. D'ailleurs, elle agira pareil. Son entourage sait ce qu'elle va faire, mais pas elle ! La prévisibilité du clone pompe l'identité du sujet et corrode son libre arbitre. Le clone selon Varley est un double vampirique qui, au-delà d'une fausse immortalité, s'emploie à détruire l'individu en le faisant douter de son unicité et en détruisant sa cohésion. Etre ET ne pas être, that is the question !
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POST-SCRIPTUM (Mars 2001) Depuis la parution de cet article (juin 1987), la question du clonage s'est imposée comme l'une des grandes interrogations éthiques de notre époque. La naissance de la fameuse brebis Dolly n'y a pas peu contribué. Rappelons que, née le 5 juillet 1996, Dolly est " le premier mammifère cloné à partir d'une cellule différenciée prélevée sur un organisme adulte. (Cet organisme adulte est) une brebis vieille de six ans, qui devient de fait à la fois la sœur jumelle du clone (mais avec six ans de différence), son père et sa mère biologique, puisque c'est elle qui a fourni les informations génétiques normalement transmises par l'union des gamètes mâle et femelle " (Axel Kahn et Fabrice Papillon, Copies conformes, 1998, Pocket). Après avoir fantasmé sur les pouvoirs potentiels du clone, les auteurs de science-fiction ont, ces dernières années, radicalisé leur inspiration, comme si l'ultralibéralisme qui se répand sans pitié sur la planète leur inspirait les pires craintes pour le sort du clone, ce futur esclave biologique des temps modernes. Dans Reproduction interdite (1989, Plon), un roman impitoyable conçu comme un dossier, Jean-Michel Truong démontre que le clone sera utilisé par les industriels lors d'opérations en milieu hostile (dans le nucléaire par exemple) ou par l'armée comme chair à canon. Pire, sa parfaite compatibilité biologique avec l'homme fera de lui une banque d'organes ambulante et un cobaye rêvé pour l'expérimentation médicale directe. Des fermes seront alors construites pour " élever " ces doubles, des " serres " comme dans le roman de Birgit Rabisch en destination de la jeunesse Jonas 7 : clone (Duplij Jonas 7, 1996, Vertige SF). Sous des dehors de haute technologie, de rentabilité économique et de philosophie utilitariste, c'est le retour de la barbarie.
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© Denis Guiot, 2001
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