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Mercredi Aujourd'hui beaucoup de route, mais en quittant le littoral. Pour parvenir au Tampon il faut emprunter les lacets d'une route de montagne. Le collège du Terrain Fleuri est introuvable. Il se cache entre les palmiers. Sur le bord de la route pousse une ravissante mauvaise herbe mauve : le patchouli. Vraiment ? " Oui, c'est du patchouli, ça envahit tout " me confirme-t-on. La classe de Jacqueline Badon (une bonne cinquième) est réglée comme un orchestre symphonique. Une chorale de lecteurs me chante le chapitre 19 bis des Cendres de Ligna, rédigé par petits groupes de travail. C'est l'éruption du Cheop et la réaction des plantes à cette agression. Une très belle réussite ... Les questions sont si nombreuses que les deux heures n'y suffisent pas. Je fait des heures sups... |
Le repas est expédié et nous roulons vers l'autre côté de l'île en passant par les " plaines " (des plateaux qui me font penser à mon roman). Sur les hauteurs on se croit dans les Vosges ou en Normandie. Il y a des platanes jaunis, des pâturages avec des vaches rousses, des hortensias bleus comme en Bretagne. C'est où le prochain fest noz ? Nous redescendons entre des écharpes de nuages en enfilant des épingles à cheveux qu'on ne peut prendre qu'en coupant le virage (c'est amusant quand il y a un bus en face). La médiathèque de Sainte Marie est climatisée. Bâtiment neuf et larges baies vitrées donnant sur une mer moutonneuse. Je n'aime pas les séances de signatures. Heureusement que l'aimable libraire Sonia me tient compagnie. Elle me parle de son noble travail (ô combien cher à l'écrivain), de la concurrence du CD-ROM, des dangers qui pèsent sur ce métier quand on imposera un prix du livre aligné sur la métropole (moins vingt pour cent sur le prix actuel). Le prix du tabac augmente, le prix du livre baisse, personne n'est content. Il faudrait peut-être faire l'inverse et on fera naître la contrebande des livres. Beau sujet de nouvelle ! Retour à la nuit tombante. A quand la première baignade ? |
Jeudi Les deux animations du jour se succèdent à Saint Louis (Lycée Louis Schoelcher et Antoine Roussin) entrecoupées par un repas express (bol renversé créole, le plat surprise du cru). Les CDI ou les salles de conférence sont à chaque fois bondés par deux ou trois classes. L'effet de masse ne favorise pas le dialogue détendu, encore moins quand un micro s'interpose entre le conférencier et son public. Quelques impressions d'ensemble : -Le discours sur la famille est très sensible. -Le thème de la condition de la femme fait briller quelques regards, haussements d'épaules dans les rangs masculins. - "Croyez-vous en Dieu ?" est également une question qui revient souvent. Je ne me sens pas obligé de retranscrire ici mes réponses. - Le besoin d'espérer et de rêver est également très fort. Mon discours sur la conquête du système solaire, les progrès de la génétique et les dangers liés à la dégradation de l'environnement est accueilli dans un silence religieux. Je me sens un peu prêcheur. Oh yé ! - Lorsque je parle de la Réunion en lançant avec ironie un " Vous vivez dans un paradis abîmé ", il y a des rires complices. -L'idée de ne plus me revoir attriste une bonne poignée d'inconditionnels de la lecture et de l'écriture, surtout les filles d'ailleurs qui semblent terriblement désireuses de mettre l'écriture et la lecture dans leur bagage culturel. A part cela, le soir tombe sur la mer tiède où je n'ai toujours pas pu tremper un doigt de pied. La chose prend des allures du supplice de Tantale. |
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Vendredi Aujourd'hui nous
nous enfonçons dans le sud sauvage. La
région qui entoure " La Fournaise ", un beau
volcan toujours en activité. Tout au long de
la route, des panneaux affichent les exploits du
tonton cracheur: coulée de 1977, Notre Dame
des laves, etc. Je
pénètre difficilement dans le
lycée de Vincendo, une sorte de casemate
blanche, cernée de hautes grilles. Pourquoi
les écoles modernes ont-elles pris ces
allures de fortins cernés de miradors : pour
qu'on n'y pénètre pas ou pour qu'on
ne puisse pas en sortir ? Le cadre est pourtant
ravissant, une mer d'un bleu profond, un ciel
tourmenté, très " tropical ", des
palmiers ébouriffés par un vent
chaud. Les élèves sont
réservés, il paraît que c'est
la région qui veut cela. On boit mes paroles
mais on n'ouvre guère la bouche. Je fais une
conférence, pourquoi pas... Je sais qu'on
m'enverra des méls la semaine prochaine.
N'est-ce pas le dialogue idéal de
l'écrivain ? L'écrit répondant
à l'écrit avec cette coloration
rapide que donne le courrier électronique
à l'échange. Pour les faire
réagir (ce sont des latinistes) je parle du
premier roman de SF : L'Odyssée
d'Homère avec ces extraterrestres que sont
les dieux de l'Olympe. On sourit finement, on est
un peu sceptique, les réactions orales
seront pour une autre fois. Repas en
excellente compagnie dans un cadre idyllique au Cap
Méchant. Un petit bois de vacoas mène
à une aire gazonnée d'une incroyable
épaisseur; moquette végétale
qui donne envie de faire une sieste... Mais on m'attend
à Piton Sainte Rose. Des classes de
cinquième très vivantes qui me
submergent de questions. L'ambiance est très
chaleureuse, très dynamique. Je suis un peu
pressé par le temps, il faut pourtant que je
signe des livres, des cahiers de texte, des bouts
de papier, des feuilles froissées. Certains
élèves reviennent par trois fois
à la charge, comme si mon autographe avait
une immense valeur marchande. Les éditeurs
devraient prendre exemple sur ces fervents
lecteurs. On me demande si
la Réunion ferait un bon cadre pour une
nouvelle fantastique ou de SF. Bien sûr,
chers lecteurs ! Tout est là en
condensé sur ces terres enfantées par
un volcan. J'évoque le principe des "
résidences d'auteur " : un mois dans le
pays, immergé dans son quotidien, des
rencontres avec d'autres artistes, et de
l'écriture bien sûr. Le
résultat: une nouvelle écrite sur
place parlant du pays et des gens qui l'habitent.
J'ai même quelques idées dans le genre
" SF intimiste " que j'affectionne. Les animations
s'achèvent. Une semaine passe si vite. Une
chose me frappe: même quand on est un
médiocre lecteur et que les
références à la
Science-Fiction passent essentiellement par le
cinéma (Alien, Le Cinquième
élément, Men in black, Total Recall,
Matrix sont les titres qui reviennent le plus
souvent) l'auteur fascine. Pourquoi? Ce n'est pas
sa célébrité ou le paquet
d'argent qu'il est censé posséder,
encore moins le nombre de prix qu'il a obtenus,
c'est son statut ou plus exactement son " pouvoir
". L'auteur est un créateur d'univers et de
personnages. La question qui brûle les
lèvres est : pourrais-je, par hasard faire
partie de ce petit monde virtuel, ainsi que mon
cadre de vie et mon île? " ou encore, mais un
peu plus lié à la SF: " Comment
voyez-vous l'avenir? En noir ou en rose? " et
même : " Pourquoi errons-nous sur cette
petite boule bleue, sommes-nous les seuls dans
l'univers? " Je suis
obligé d'esquisser un pauvre sourire d'homme
qui a traversé plus d'un demi siècle
et d'expliquer que les questions importantes sont
les questions qui restent sans
réponse... |
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PS : J'ai eu trois jours de liberté que j'ai mis à profit pour découvrir la lagon de St Pierre avec masque et tuba (un pur enchantement pour un habitué des eaux bretonnes) et les sites volcaniques du haut d'un hélicoptère acrobatique... © Jean-Pierre Hubert, 2001 |
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