Les cendres de la Réunion

(fin)

 

 


© Jean-Pierre Hubert

Mercredi

Aujourd'hui beaucoup de route, mais en quittant le littoral. Pour parvenir au Tampon il faut emprunter les lacets d'une route de montagne. Le collège du Terrain Fleuri est introuvable. Il se cache entre les palmiers. Sur le bord de la route pousse une ravissante mauvaise herbe mauve : le patchouli. Vraiment ? " Oui, c'est du patchouli, ça envahit tout " me confirme-t-on.

La classe de Jacqueline Badon (une bonne cinquième) est réglée comme un orchestre symphonique. Une chorale de lecteurs me chante le chapitre 19 bis des Cendres de Ligna, rédigé par petits groupes de travail. C'est l'éruption du Cheop et la réaction des plantes à cette agression. Une très belle réussite ...

Les questions sont si nombreuses que les deux heures n'y suffisent pas. Je fait des heures sups...

Le repas est expédié et nous roulons vers l'autre côté de l'île en passant par les " plaines " (des plateaux qui me font penser à mon roman). Sur les hauteurs on se croit dans les Vosges ou en Normandie. Il y a des platanes jaunis, des pâturages avec des vaches rousses, des hortensias bleus comme en Bretagne. C'est où le prochain fest noz ? Nous redescendons entre des écharpes de nuages en enfilant des épingles à cheveux qu'on ne peut prendre qu'en coupant le virage (c'est amusant quand il y a un bus en face).

La médiathèque de Sainte Marie est climatisée. Bâtiment neuf et larges baies vitrées donnant sur une mer moutonneuse. Je n'aime pas les séances de signatures. Heureusement que l'aimable libraire Sonia me tient compagnie. Elle me parle de son noble travail (ô combien cher à l'écrivain), de la concurrence du CD-ROM, des dangers qui pèsent sur ce métier quand on imposera un prix du livre aligné sur la métropole (moins vingt pour cent sur le prix actuel). Le prix du tabac augmente, le prix du livre baisse, personne n'est content. Il faudrait peut-être faire l'inverse et on fera naître la contrebande des livres. Beau sujet de nouvelle !

Retour à la nuit tombante. A quand la première baignade ?

Jeudi

Les deux animations du jour se succèdent à Saint Louis (Lycée Louis Schoelcher et Antoine Roussin) entrecoupées par un repas express (bol renversé créole, le plat surprise du cru). Les CDI ou les salles de conférence sont à chaque fois bondés par deux ou trois classes. L'effet de masse ne favorise pas le dialogue détendu, encore moins quand un micro s'interpose entre le conférencier et son public.

Quelques impressions d'ensemble :

-Le discours sur la famille est très sensible.

-Le thème de la condition de la femme fait briller quelques regards, haussements d'épaules dans les rangs masculins.

- "Croyez-vous en Dieu ?" est également une question qui revient souvent. Je ne me sens pas obligé de retranscrire ici mes réponses.

- Le besoin d'espérer et de rêver est également très fort. Mon discours sur la conquête du système solaire, les progrès de la génétique et les dangers liés à la dégradation de l'environnement est accueilli dans un silence religieux. Je me sens un peu prêcheur. Oh yé !

- Lorsque je parle de la Réunion en lançant avec ironie un " Vous vivez dans un paradis abîmé ", il y a des rires complices.

-L'idée de ne plus me revoir attriste une bonne poignée d'inconditionnels de la lecture et de l'écriture, surtout les filles d'ailleurs qui semblent terriblement désireuses de mettre l'écriture et la lecture dans leur bagage culturel.

A part cela, le soir tombe sur la mer tiède où je n'ai toujours pas pu tremper un doigt de pied. La chose prend des allures du supplice de Tantale.


© Sandra Fabien


© Isabelle Lebon

Vendredi

Aujourd'hui nous nous enfonçons dans le sud sauvage. La région qui entoure " La Fournaise ", un beau volcan toujours en activité. Tout au long de la route, des panneaux affichent les exploits du tonton cracheur: coulée de 1977, Notre Dame des laves, etc.

Je pénètre difficilement dans le lycée de Vincendo, une sorte de casemate blanche, cernée de hautes grilles. Pourquoi les écoles modernes ont-elles pris ces allures de fortins cernés de miradors : pour qu'on n'y pénètre pas ou pour qu'on ne puisse pas en sortir ? Le cadre est pourtant ravissant, une mer d'un bleu profond, un ciel tourmenté, très " tropical ", des palmiers ébouriffés par un vent chaud. Les élèves sont réservés, il paraît que c'est la région qui veut cela. On boit mes paroles mais on n'ouvre guère la bouche. Je fais une conférence, pourquoi pas... Je sais qu'on m'enverra des méls la semaine prochaine. N'est-ce pas le dialogue idéal de l'écrivain ? L'écrit répondant à l'écrit avec cette coloration rapide que donne le courrier électronique à l'échange. Pour les faire réagir (ce sont des latinistes) je parle du premier roman de SF : L'Odyssée d'Homère avec ces extraterrestres que sont les dieux de l'Olympe. On sourit finement, on est un peu sceptique, les réactions orales seront pour une autre fois.

Repas en excellente compagnie dans un cadre idyllique au Cap Méchant. Un petit bois de vacoas mène à une aire gazonnée d'une incroyable épaisseur; moquette végétale qui donne envie de faire une sieste...

Mais on m'attend à Piton Sainte Rose. Des classes de cinquième très vivantes qui me submergent de questions. L'ambiance est très chaleureuse, très dynamique. Je suis un peu pressé par le temps, il faut pourtant que je signe des livres, des cahiers de texte, des bouts de papier, des feuilles froissées. Certains élèves reviennent par trois fois à la charge, comme si mon autographe avait une immense valeur marchande. Les éditeurs devraient prendre exemple sur ces fervents lecteurs.

On me demande si la Réunion ferait un bon cadre pour une nouvelle fantastique ou de SF. Bien sûr, chers lecteurs ! Tout est là en condensé sur ces terres enfantées par un volcan. J'évoque le principe des " résidences d'auteur " : un mois dans le pays, immergé dans son quotidien, des rencontres avec d'autres artistes, et de l'écriture bien sûr. Le résultat: une nouvelle écrite sur place parlant du pays et des gens qui l'habitent. J'ai même quelques idées dans le genre " SF intimiste " que j'affectionne.

 

Les animations s'achèvent. Une semaine passe si vite. Une chose me frappe: même quand on est un médiocre lecteur et que les références à la Science-Fiction passent essentiellement par le cinéma (Alien, Le Cinquième élément, Men in black, Total Recall, Matrix sont les titres qui reviennent le plus souvent) l'auteur fascine. Pourquoi? Ce n'est pas sa célébrité ou le paquet d'argent qu'il est censé posséder, encore moins le nombre de prix qu'il a obtenus, c'est son statut ou plus exactement son " pouvoir ". L'auteur est un créateur d'univers et de personnages. La question qui brûle les lèvres est : pourrais-je, par hasard faire partie de ce petit monde virtuel, ainsi que mon cadre de vie et mon île? " ou encore, mais un peu plus lié à la SF: " Comment voyez-vous l'avenir? En noir ou en rose? " et même : " Pourquoi errons-nous sur cette petite boule bleue, sommes-nous les seuls dans l'univers? "

Je suis obligé d'esquisser un pauvre sourire d'homme qui a traversé plus d'un demi siècle et d'expliquer que les questions importantes sont les questions qui restent sans réponse...

PS : J'ai eu trois jours de liberté que j'ai mis à profit pour découvrir la lagon de St Pierre avec masque et tuba (un pur enchantement pour un habitué des eaux bretonnes) et les sites volcaniques du haut d'un hélicoptère acrobatique...

© Jean-Pierre Hubert, 2001


© Jean-Pierre Hubert