Du 1er septembre au 12 novembre 2001, Mango Jeunesse et la collection
Autres Mondes ont organisé le 1er Grand Prix des Lecteurs Autres
Mondes. Ce concours s'adressait aux jeunes lecteurs de 11 à
16 ans désirant concourir seul ou dans le cadre d'un collectif
(classe, club lecture). Il leur était demandé, comme
dans un jeu de rôle, de se mettre dans la peau d'un journaliste
pour réfléchir et donner leur avis critique sur un important
problème moral qui se posera peut-être dans le futur
: le clonage de l'être humain tel qu'il est raconté par
Gudule dans sa nouvelle Journal d'un clone, extraite de l'anthologie
Les Visages de l'humain. Le jury était présidé
par le professeur Axel Kahn.
Nous avons reçu
près de trois cents textes, individuels et collectifs, ce qui
signifie la participation de plus de mille jeunes participants. L'événement
a attiré l'attention de la Mutuelle Générale
de l'Education Nationale (dans le numéro de janvier de sa revue
Valeurs Mutualistes, la MGEN lui consacre deux pages, avec
interviews de Gudule et de Denis Guiot, et des extraits des articles
des participants).
L'article gagnant, catégorie
" individuel ", sera publié dans le numéro
de février de Science et Vie Junior, tandis que le gagnant,
catégorie " collectif ", sera mis en ligne sur le
site de La Cinquième. Les deux articles sont accessibles sur
le site Autres Mondes.
Voici un florilège,
brièvement commenté, de ces " paroles d'ados "
sur le clonage.
Denis Guiot
Avant toute chose, les
jeunes lecteurs se sont, instinctivement, révoltés en
masse devant le statut d'esclave qui, dans la nouvelle de Gudule,
est dévolu au clone :
- " Bien sûr,
l'homme rêve d'être secondé gratuitement ! Mais
l'esclavage a-t-il été aboli pour renaître, sous
une forme plus perverse ? " (3ème, collège Charles
Peguy, Vauvilliers)
- " Cloner un être
humain est contraire à l'éthique. C'est une question
de conscience. Cloner un être humain, c'est créer un
sous-être, un esclave. Ce sous-être est créé
dans un seul but : qu'il soit un potentiel de survie humaine. C'est-à-dire
que l'homme voit à travers lui une banque d'organes mais, au-delà,
l'immortalité. Tout ceci ne peut que déconsidérer
la condition humaine car le clone devient en fait une chose, un objet.
En " chosifiant " la personne, le clonage porte atteinte
à la dignité humaine. " (Nathalie)
L'appartenance à
l'espèce humaine du clone est reconnue par la grande majorité
des jeunes lecteurs :
- " Qu'elle soit naturelle
ou artificielle, une vie reste une vie " (Patricia)
- " Si l'humanité
dénie l'humanité d'un autre être humain, elle
perd son humanité " (Miriam)
- " Les clones, s'ils
existent, ne seront pas des machines mais des êtres humains.
Alors, il ne faudra pas leur faire ce qu'on ne doit pas faire aux
êtres humains " (collège Paul Dangla, Agen)
- " Il est totalement
inimaginable d'utiliser des clones comme réserves d'organes
ou comme cobayes pour la recherche scientifique : un clone est-il
moins humain qu'un homme ? Lui prendre un organe pour sauver la vie
de quelqu'un d'autre, c'est tuer un homme pour sauver un de ses semblables.
Et l'utiliser comme cobaye, c'est le rabaisser au rang des souris
et des singes de laboratoires " (collège Plaisance, Créteil)
Cependant, le clone est-il
tout à fait un être humain ?
- " Si les enfants
ne respectent pas quelque chose qui ressemble à un être
humain, ils ne respecteront plus les humains " (Mélodie)
- " On se doit de
respecter le clone parce qu'il sera à notre image. Il sera
proche de l'humain mais en même temps différent "
(4ème, collège Darnet, Saint-Yriex-la-Perche)
- " Et même
si le clonage devait être autorisé un jour, le problème
le plus important de tous qui se poserait est : comment considérer
le clone ? Etant donné que son code génétique
est le même que celui d'un humain, il devrait donc être
identifié comme tel, mais on pourrait également le définir
comme clone selon le statut qu'on lui donnerait : on ferait une différence
entre un être humain et un clone selon les conditions de naissance
" (collège Didier Daurat, Le Bourget)
Les jeunes lecteurs sont
très inquiets devant les dérives possibles du clonage,
sociales ou scientifiques :
- " Le clonage est
une sorte d'égoïsme envers celui qui va tout faire à
la place de l'autre "(Jennifer)
- " Quand on examine
les avantages éventuels que nous apporterait le clonage humain,
ils naissent de situations où l'égoïsme domine
: on pourrait se servir d'un clone pour se remplacer dans des situations
délicates et difficiles dans la vie ; ainsi, nous n'aurions
que les bons côtés de celle-ci et lui les mauvais "
(Magalie)
- " Ces clones qui
n'ont pas demandé à naître accepteront-ils leur
origine ? Ne va-t-on pas leur faire subir un traumatisme irréparable
? Ne vont-ils pas être confrontés à l'intolérance
des autres hommes qui se considèreront plus " humains
" et donc supérieur ? " (3ème, collège
Charles Peguy, Vauvilliers)
- " Dire à
un être qu'il est un clone poserait d'énormes problèmes
éthiques : ce serait une voie ouverte à toutes les discriminations,
à la barbarie envers eux. " (2ème, lycée
Descartes, Rennes)
- " C'est inadmissible
qu'une société se permette de désigner des individus
et de les juger plus bas que d'autres " (Miriam)
- " Il est souvent
difficile de prévoir l'utilisation que l'on fait d'une découverte
scientifique " (Marie)
- " Même pour
soigner des malades, en clonant des parties d'humain, le clonage peut
être dangereux car si on sait cloner certains organes, un jour
un " savant fou " construira un clone entier " (3ème
insertion, collège Marie Laurencin, Tarare)
- " Comment des clones
s'auto-considèreront-ils ? Quand on sait que certains scientifiques
pensent déjà à faire des clones sans jambes pour
la NASA, jusqu'où cela ira-t-il ? " (3ème,
collège Franklin, Lille)
- " Pour ma part,
j'estime que le clonage est un moyen d'assouvir un fantasme de domination
parce que, grâce à lui, on contrôle la vie "
(Audrey)
- " De plus, cloner
uniquement certaines personnes pourrait ramener à des idées
fascistes selon le principe d'élitisme : cloner certaines personnes
et pas d'autres en fonction de leurs moyens budgétaires "
(collège Didier Daurat, Le Bourget)
- " Cette volonté
de percer le secret de la vie n'amènera-t-elle pas certains
scientifiques peu scrupuleux à créer de nouvelles "
races " plus évoluées, cédant alors à
la tentation de l'eugénisme ? " (2ème, lycée
Descartes, Rennes)
- " Nous avons le
devoir d'envisager des dérives possibles. Si nous sommes capables
de créer un homme et bientôt de le modeler suivant nos
désirs grâce aux manipulations génétiques,
nous laissons aux terroristes, aux extrêmistes, la possibilité
de créer des armées redoutables " (3ème,
collège Charles Peguy, Vauvilliers)
- " Nous pensons qu'il
y a vraiment lieu d'être inquiet : car, même si une législation
mondiale est un jour votée, comment pourrions-nous contrôler
les faits et expériences de tous les biologistes du monde ?
Or, nous le savons tous, le plus dangereux prédateur
de l'Homme, c'est l'Homme ! " (2ème, lycée Descartes,
Rennes)
- " Saurons-nous rester
dignes de notre condition humaine et ne pas tomber dans la barbarie
scientifique et commerciale pour la rentabilité ? Touche pas
à mon ADN, mec ! " (Magalie)
- " Le clonage conduirait
à l'eugénisme de l'être humain qui ne serait plus
unique mais prédéterminé " (Camille)
La hantise d'individus
fabriqués en série revient dans plusieurs textes :
- " Je pense qu'on
n'a pas le droit de cloner un être humain. Chaque personne est
unique. Si parfois on est fier de soi, c'est parce que l'on sait que
même si quelqu'un peut faire mieux que soi, personne ne peut
faire pareil. J'ai l'impression que cloner une personne, c'est briser
sa vie en la coupant en deux " (Gwenaëlle)
- " L'être humain
est-il imbu de lui-même au point de vouloir se reproduire en
plusieurs exemplaires totalement similaires ? Le plagiat n'est-il
pas interdit de nos jours ? " (Léa)
- " Reproduire un
même individu à l'identique remettrait en cause l'Histoire
de l'Humanité. Car chacun naît unique et différent
de par son patrimoine génétique, l'existence humaine
n'existant que dans sa diversité. Si nous en venions à
cloner un individu, la notion de Liberté elle-même serait
atteinte. Cet être procréé artificiellement n'aurait
ni la chance ni le droit de naître singulièrement différent,
serait dépourvu de tout caractère physique et génétique
naturel " (Romain).
- " Sur un plan moral,
l'homme perd son humanité : l'existence, la mort n'ont plus
de valeur car tout est remplaçable, alors ! " (Camille)
Le clonage heurte même
certaines convictions religieuses :
- " Une des lois fondamentales
de la nature est que chaque être humain est unique et naît
naturellement, le clonage viole en quelque sorte cette loi. Donner
la vie par la science c'est chercher à se mettre l'égal
de Dieu " (collège Didier Daurat, Le Bourget)
- " C'est la notion
même de vie qui est remise en question. L'homme deviendrait
créateur et Dieu qui, selon les croyants, " a créé
l'homme à son image " passerait pour un vulgaire cloneur
" (3ème, collège Jean Perrin, Vitry-sur-Seine)
- " Les hommes, s'ils
continuent a créer des clones, ils vont se prendre pour Dieu,
les maîtres du monde " (Julien)
Mais, malgré le
rejet très largement majoritaire du clonage reproductif, la
tentation égoïste d'utiliser celui-ci existe réellement
:
- " On a le droit
de cloner un Homme et de s'en servir mais à condition que cela
reste dans la limite du raisonnable. On peut se servir d'un clone
pour les dons d'organes, pour une aide à la maison, à
condition que cela ne tourne pas à l'esclavage " (Deborah)
- " Le clonage a des
avantages, les clones pourraient faire notre travail. Les clones pourraient
se faire disputer à notre place " (Maxime et Mehdi)
- " Un clone peut-être
utile car il peut-être un bon ami, fidèle, qui ressent
des émotions mais ne dit rien, on peut aussi le jeter quand
on en a assez, mais il peut également servir aux couples qui
ne peuvent pas avoir d'enfants " (Sandra)
- " Mais ces conséquences
pourraient être favorables, si les clones sont utilisés
par exemple comme de la main d'uvre afin de faire avancer davantage
les industries " (Hanane)
Les raisons de ne pas cloner
ne relèvent pas toujours de l'éthique :
- " Le clonage risque
aussi d'aggraver la surpopulation et la famine. Les clones peuvent
aussi se révolter et cela pourrait provoquer des guerres"
" (5ème, collège Georges de la Tour, Metz)
- " Est-ce que les
clones ne vont pas nous dominer ? " (club lecture, Le Champivert,
Crouy-sur-Ourcq)
Une majorité se
dégage pour le clonage thérapeutique selon l'argumentation-type
:
- " On pourrait sauver
des vies en clonant des organes, il n'y aurait plus de rejet car on
nous clonerait notre propre organe. Grâce au clonage des femmes
stériles pourraient enfin avoir un bébé en leur
implantant un ovule " (Marjaurie)
Rares sont les optimistes.
Aussi, en conclusion, laissons leur la parole :
- " Je crois en une
humanité bonne, donc je crois au clonage réussi car
il semble qu'il existe sur Terre des personnes conscientes de leurs
actes et de leur responsabilité. Si la création des
clones est précédée d'une longue réflexion,
elle sera bénéfique à toute la nation et à
l'humanité toute entière. Nous espérons tous
que notre science soit plus avancée, mais nous ne voulons pas
de science sans conscience " (Maboundou)
- " Pour éviter
que les chercheurs de tous les pays du monde ne fassent n'importe
quoi, il faudrait écrire un règlement adopté
par tous les pays. Et pour créer ce règlement, il faut
que tous les gens réfléchissent et s'expriment sur ce
sujet car c'est à eux de choisir la société de
demain " (3ème insertion, collège Marie Laurencin,
Tarare)
© Mango Jeunesse, 2001