VOUS AVEZ DIT
SCIENCE-FICTION ?

 

 

          Il ne s'agit pas d'inventer ici des ancêtres prestigieux à la science-fiction, histoire de combattre l'étiquette " infamante " de sous-genre littéraire qui lui colle aux pages. Mais force est de constater que dans des récits comme L'histoire véritable de l'écrivain grec Lucien de Samosate (IIème siècle après Jésus-Christ) où des navigateurs, à la suite d'une tempête, sont projetés sur la Lune, Micromégas (1752) de Voltaire qui conte la découverte de notre planète par un extraterrestre géant venu de Sirius ou encore les fameux Voyages de Gulliver (1726) de Swift, les éléments de science-fiction abondent.
         Ces récits relèvent du conte philosophique. Pour qu'ils appartiennent vraiment au genre SF, il faut que l'aspect merveilleux du récit ne soit pas un simple prétexte à la satire ou à l'élaboration de théories utopiques ; il faut qu'il soit soutenu, encadré, par une pensée fondée sur une certaine logique, par une autre vision du monde ; il faut que les procédés littéraires mis en œuvre provoquent un " effet de réel " qui suspend l'incrédulité naturelle du lecteur devant une littérature qui ne se base pas sur la mimesis.
         Le XIXème siècle, avec son cortège extraordinaire d'inventions, sa science toute neuve et toute puissante qui aspirait à transformer l'homme en Dieu (ou en Diable ?), ne pouvait que donner naissance à un genre littéraire nouveau. Ainsi, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818) de Mary Shelley est-il considéré par beaucoup de spécialistes comme le premier véritable roman de science-fiction.
         Puis vinrent Jules Verne et ses premiers Voyages Extraordinaires (Voyage au centre de la Terre, 1864, et De la Terre à la Lune, 1865), Villiers de L'Isle-Adam contant les amours d'un jeune lord et d'une femme mécanique (L'Eve future, 1886), Rosny Aîné et ses êtres minéraux intelligents (Les Xipéhuz, 1887) et Herbert George Wells, l' " inventeur " de la première Machine à explorer le temps (1895).
         Les origines de la science-fiction sont, on le voit, incontestablement européennes. Enthousiasmé par les récits de Verne et de Wells, passionné par tout ce qui relève de la technique, Hugo Gernsback, un jeune éditeur américain (né au Luxembourg en 1884 et émigré aux Etats-Unis en 1904), lance en avril 1926 Amazing Stories, le premier magazine consacré à ce type de récits où se mêlent visions prophétiques de l'avenir et extrapolations scientifiques, et crée le mot " scientifiction ", qui deviendra " science-fiction " en 1929.
         Le succès commercial est immédiat. Mais, revers de la médaille, Gernsback enferme ce jeune courant littéraire dans un genre séparé et défini, lui assignant ainsi un rôle précis et réducteur né de son appellation même, celui de la seule anticipation scientifique et technique.
         Or, de l'épique Star Wars aux poétiques Chroniques martiennes, de la hard science à la science-fantasy, de l'anticipation selon Jules Verne à la remise en question de notre perception du réel selon Philip K. Dick, du space opera au voyage dans le temps, la science-fiction est plurielle, éperonnant tous les domaines de l'activité humaine - politique, économique, social, religieux, sexuel, psychologique, artistique etc. - avec l'excitante question : " Que se passerait-il SI ? ".
         De plus, par son pouvoir de modifier à sa guise le réel et de fabriquer des mondes, elle est un outil privilégié pour analyser la place de l'homme dans l'univers. Dans sa préface à Crash ! (1973), James Ballard écrit : " Si naïvement ou grossièrement que ce soit, la science-fiction tente du moins de fournir un cadre philosophique ou métaphysique aux événements les plus importants de nos existences et aux données de nos consciences ".

© Hachette livre 1998

(Extrait de la préface du Dictionnaire de la Science-Fiction, par Denis Guiot, avec la collaboration d'Alain Laurie et Stéphane Nicot, illustrantions intérieures de Manchu - Le Livre de Poche Jeunesse, Hachette Jeunesse 1998, 288 pages, 35 Francs)