En 1997, je réalisais un rêve de gosse : me rendre au Texas, à San Antonio, pour contempler les vestiges de Fort Alamo, ainsi qu'à Brackettville (deux cents kilomètres … la porte à côté à l'échelle des USA), là où, en 1959, John Wayne fit construire une reconstitution du célèbre fort pour les besoins de son film. J'étais accompagné dans ce pèlerinage par deux amis, Laurent et Gilles, ainsi que par ma compagne, Marie, qui tint notre " journal de bord " et dont voici quelques extraits :

UN VOYAGE AU TEXAS
(extrait)

Mercredi 15 octobre
     Arrivés à San Antonio dans le coucher du soleil, après six heures de vol quand même (départ de New York). Nous avons loué une voiture. Une fois que Gilles s'est habitué à la boîte automatique, on parvient à trouver un Motel 6 dans une zone industrielle sillonnée d'autoroutes.
     Après avoir déposé les bagages, on part faire un tour en ville où nous découvrons la " Venise du Texas ", c'est à dire les canaux de San Antonio (le centre ville), bordés de restaurants et de boutiques. Cela ressemble un peu aux " Pirates des Caraïbes " de Disneyland. Sympathique, mais très kitch. Et bien sûr, j'allais presque oublier qu'avant les canaux, nous sommes allés directement à Alamo, une grande place où trône la chapelle, étrange vestige perdu au milieu des buildings. C'est le seul bâtiment d'époque, avec les casernements qui courent sur sa droite. Ils ont été transformés en musée, tout comme la vieille église. Derrière, dans le jardin (l'ancien corral), il y a une boutique de souvenirs… et beaucoup d'écureuils en liberté

 


Photo 1 : Les canaux de San Antonio, la " Venise du Texas "

     La chapelle est magnifique sous la pleine lune. Tout paraît si calme. Il est difficile de croire que 160 ans plus tôt, des gens se sont entretués ici, à la baïonnette. Davy Crockett (le vrai, pas un acteur de cinéma !) est peut-être tombé à l'endroit même où nous marchons. Au loin, on distingue l'enseigne lumineuse du " Crockett Hôtel ".
      Christophe réalise son rêve. Enfin.
      Ce lieu, simplement historique pour nous, est pour lui, je le sais, un havre sacré où prend racine une partie de son être profond. Il est ému aux larmes comme lorsqu'on retrouve un objet précieux de son enfance qu'on a cherché pendant des années. Nous sommes touchés à notre tour de le voir si heureux de fouler au pied son " sanctuaire privé ". Peut-être que chacun de nous en a un à trouver aussi.
      Nous parlons ensuite pas mal d'Alamo. Je dois dire que je n'ai jamais vraiment compris cette fascination qu'il a toujours eu pour ce fait d'armes qui m'apparaît comme un acte suicidaire pour repousser les Mexicains ; ceux-ci ne cherchaient, somme toute, qu'à récupérer un territoire qu'on leur avait pris. Ce sacrifice spectaculaire a eu l'avantage décisif pour les Etats-Unis d'avoir fait définitivement des Mexicains les méchants de l'histoire du Texas et d'avoir ainsi galvanisé l'esprit patriotique des Texans.
      Mais si je me focalise sur l'aspect politique, Christophe, lui, trouve dans cette histoire quelque chose plus en rapport avec l'humain. Ce sont les liens qui unissaient ces hommes et leurs motivations profondes qui le touchent. Il m'apparaît, en y pensant, que le personnage de Davy Crockett a quelque chose de vraiment fascinant parce que, lorsqu'on est enfant, il nous est présenté comme un héros de fiction, un aventurier mythique, et tout à coup, on apprend qu'il est mort pendant le siège d'Alamo, en héros là aussi, et on prend tout à coup conscience qu'il a existé réellement. C'est un personnage à la Peter Pan avec un pied dans l'imaginaire enfantin et un pied dans le monde réel. Je crois que c'est peut-être ça qui a quelque chose de magique et qui a envoûté Christophe enfant. La mort dans cette histoire est en quelque sorte sublimée et cela fait peut-être de cet endroit, pour lui, comme un îlot d'éternité, un lieu au seuil du réel…



Photo 2 : En plein cœur de San Antonio : la chapelle d'Alamo, le bâtiment le plus visité du Texas. Le célèbre pignon bosselé date de 1846, tout comme les fenêtres latérales, en hauteur. A l'époque de Davy Crockett (1836), la chapelle n'avait même pas de toit. A l'intérieur : des armes authentiques, la correspondance de Travis, sa bague, un Bowie knife (le couteau de Jim Bowie) et un gilet bariolé ayant appartenu à Crockett…Sur la photo, on distingue, à gauche, les restes de casernements en vielles pierres, les longs barracks. Derrière : la poste et le Emily Morgan Hôtel.


Jeudi 16 octobre.
     Le matin, nous nous levons vers 6h30 et les garçons piquent une tête dans la piscine… au bord de l'autoroute.
     Christophe fait des recherches pour un futur roman à la bibliothèque des Daughters of Republic of Texas, tout près de la chapelle. Il trouve des documents rares, et même un script de travail annoté par John Wayne.
      L'après midi, nous flânons près d'Alamo, regardons le " merchandising " (tee-shirts, tasses, posters, etc.), et visitons le marché mexicain. A 18h00, nous assistons à une projection en Imax de la reconstitution de la bataille de 1836. Ce film (une sorte de " docu-drama " de 45 minutes) s'appelle The Price of Freedom. Il est plus fidèle à la réalité que celui de John Wayne, mais moins grandiose.
      On va dîner dans un grand restau mexicain (Mi Tierra) pas cher et très bon, avec des mariachis qui vous chantent la sérénade à chaque plat. Chose curieuse : il paraît que San Antonio est la plus grande ville des USA et pourtant on a l'impression que, en dehors du centre ville, personne n'y vit. C'est la croix et la bannière pour trouver un magasin d'alimentation !


Vendredi 17 octobre
      Ce matin nous nous réveillons en pleine forme, prêts pour partir à l'aventure vers Brackettville.
      C'est une route presque toute droite, immense, qui nous y mène à travers un paysage piqueté de petits arbres et de buissons à perte de vue. Nous sommes déjà en plein western.
      Les villes que nous traversons se composent d'une seule rue bordée de mobil-homes, de commerces cubiques. Aucun bâtiment n'a d'étages et tous sont très espacés. Des busards tournoient dans le ciel limpide.
      Il y a très peu de circulation en dehors de quelques gros camions rutilants. Chaque village évoque ici les tableaux d'Edward Hopper. Les arbres rapetissent au fur et à mesure de notre avancée.
      Enfin, en milieu de journée, nous atteignons le Fort Alamo de cinéma, que l'on peut visiter pour 6 dollars (il se trouve dans le ranch d'un dénommé Happy Shahan). On y accède par une piste caillouteuse. Une fois sur place, on a l'impression d'avoir remonté dans le temps.
      Nous sommes seuls et c'est magnifique.

 


Photo 3 : Christophe, euphorique, devant la " fausse " chapelle. L'herbe a envahi ce vieux décor de cinéma. La croix en forme de X, installée au dessus du fronton par le directeur artistique de John Wayne, Alfred Ybarra, a disparu. En 1986, les décorateurs du film The Price of Freedom ont comblé les fenêtres latérales pour mieux coller à la réalité historique. Par contre, ils ont laissé le pignon légèrement surélevé (compromis initié par Ybarra), pour garder un " lien de parenté " visuel avec la chapelle restaurée de San Antonio. A droite, la palissade tenue par les gars du Tennessee.



Photo 4 : Contrechamp de la photo précédente. Je me restaure. Sur la gauche de l'image : les casernements du sud (c'est là que Jim Bowie a été achevé), avec l'entrée principale. A droite : le mur ouest. Au milieu : un faux puits. Le terre-plein central, sur lequel, Wayne effectue quelques cascades dans le film, a disparu.



Photo 5 : La chapelle, vue de derrière. Seule la façade date de 1959 (Une bonne partie du bâtiment explosant avec Wayne à la fin du film). Le reste de ce décor date de 1986, toujours pour les besoins de The Price of Freedom. Gilles se trouve sur la rampe où étaient placés les canons. Sur la droite, la sacristie, où les non-combattants (femmes et enfants) étaient réfugiés. Les cinéphiles reconnaîtront ici le repaire des méchants, dans le récent western Belles de l'ouest, avec Andie McDowell. Tout l'arrière du fort (le jardin, le corral) a servi de décor pour les scènes finales de ce film