Cat (webmistress du site) : Bonjour Christophe.
Dans la postface de Souviens-toi d'Alamo !, tu écris
que tu as découvert le film à l'âge de cinq ans ! Je me doute
que cela a dû être un choc pour l'enfant que tu étais, car
Alamo est un film plutôt violent. Tes parents te laissaient
tout voir à la télévision ?
Christophe Lambert : Ils ne me censuraient
pas grand chose, c'est vrai. Mais il faut dire que "j'encaissais"
bien la violence. J'ai toujours aimé ça. Dans les fictions,
j'entends. Dans la réalité, je ne me suis jamais réellement
bagarré, je n'ai pas d'armes chez moi, je n'aime pas la corrida,
ni la chasse, et je suis le genre de gars à tomber dans les
pommes s'il se coupe le doigt avec un couteau de cuisine !
Les enfants ont besoin d'exprimer la violence qui bouillonne
en eux. Je vais parfois dans des classes. Il y a un exercice
sympa qui consiste à demander aux gamins d'imaginer la fin
d'une histoire que vous avez commencée. Je t'assure que ça
finit presque toujours en bain de sang. Les enfants sont incroyablement
"gore" !!! Je crois que c'est dans la nature humaine et que
ça ne fait pas d'eux forcément des psychopathes en puissance.
Je suis pour une utilisation responsabilisée de la violence
dans les fictions... Bref, pour en revenir à Alamo,
mes parents m'ont laissé regarder le film parce que j'adorais
John Wayne et parce que j'étais un grand fan de Davy Crockett.
Ma mère et ma grand-mère m'avaient lu tous les romans de la
série en Bibliothèque rose !
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Alamo vu par Christophe
à 6 ans
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Cat : Avec le massacre final, on est pourtant loin
de la Bibliothèque rose !
Christophe : Je connaissais le dénouement du
siège d'Alamo, je n'ai donc pas été traumatisé. Même si tout
le monde meurt à la fin, je ne trouve pas cela déprimant.
Les héros ont fait du mieux qu'ils ont pu, et de leur défaite
naîtra une victoire future. J'en ai retiré l'idée qu'un échec
n'est pas à craindre, du moment qu'on est en règle avec soi-même.
Enfin… c'était quelque chose de plus diffus bien sûr, parce
que, formulé comme ça, on dirait une phrase extraite d'un
séminaire de " pensée positive " :-)))) . C'est aussi une
métaphore de la vie : on sait tous que ça va mal finir mais
ce n'est pas une raison pour rester couché et se lamenter.
Il est plaisant d'imaginer que, à l'intérieur de nous, il
y a un petit fort qui résiste aux " emmerdes ", à la maladie,
à la vieillesse. Cela m'évoque l'intro de Citizen Kane
d'Orson Welles : ce vieillard qui, juste avant de mourir,
se raccroche au souvenir de son traîneau, qu'il avait appelé
Rosebud ; Rosebud, le secret perdu de son enfance.
Eh bien, Alamo, c'est mon Rosebud à moi !
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Cat : Tes coups de foudre artistiques sont surtout
cinématographiques ?
Christophe : J'ai découvert le cinéma avec
les films du mardi soir à la télé, sur la 3. Ah, la musique
de Francis Lai avec les yeux en fondus enchaînés... J'ai des
souvenirs géniaux de Cinémascope et de Technicolor. Dès que
je voyais apparaître le lion de la MGM ou le logo de la Fox,
j'étais sûr que j'allais passer une bonne soirée.
Cat : Tu étais un grand amateur de westerns ?
Christophe : Oui. Je jouais aux cow-boys et
aux indiens bien avant de me prendre pour un chevalier Jedi
:-)))) . J'adorais tous les grands classiques : Ford, Hawks…
J'en ai gardé le goût des histoires simples en apparence mais
solidement charpentées. Plus tard, adolescent, j'ai découvert
Sergio Léone et toute la vague " crépusculaire " : John
McCabe, les films de Sam Peckinpah… Tout le monde meurt
également à la fin de La Horde sauvage, mais ce n'est
pas la même problématique que dans Alamo. C'est nettement
plus pessimiste. Je ne conseillerais pas La Horde sauvage
à des enfants !
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Cat : Tu n'hésites pourtant pas à faire mourir certains
de tes personnages, voire tes héros.
Christophe : Il y a deux raisons à cela :
1/ Les
lecteurs qui me connaissent un peu savent que je suis capable de
zigouiller un ou plusieurs héros, donc cela les met dans une position
d'insécurité dès l'ouverture du livre. C'est bon pour le suspense,
quoi !
2/ La
mort des héros, si elle est bien amenée, peut aider l'enfant ou
le jeune à accepter le concept de la " vraie " mort. Si Alamo
m'a tant marqué, c'est aussi parce que je l'ai vu à cinq ans, à
un moment où je commençais à appréhender de manière concrète l'idée
de la mort : la mienne, celle de mes proches... C'est horrible quand
on y pense, complètement effrayant, inconcevable ! Mais de voir
que les héros meurent aussi, disons que cela a mieux fait " passer
la pilule ". En plus, leur mort était " utile ". C'est pour cette
raison qu'il y a beaucoup de personnages qui se sacrifient dans
mes bouquins. Pas question qu'un héros se fasse tuer stupidement
en traversant la rue au milieu du livre. Je ne ferai jamais ça.
En tous cas, pas dans une collection " jeunesse " !
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Cat : Et puis il y a eu Star Wars ?
Christophe : Oui, un peu plus tard, à dix ans.
Star Wars est tombé pile au moment où j'avais envie
de voir ce genre de récits initiatiques, dépaysants. C'était
plus qu'un film : une porte ouverte sur un univers que l'on
pouvait prolonger soi-même à la maison, avec les figurines,
ou alors en écrivant la suite des aventures de nos héros préférés.
Et puis, visuellement, ça a été une grande claque.
Cat : Comment as-tu pu concilier cette passion pour le
western et la science-fiction, deux genres assez opposés :
le passé et l'avenir, l'individu et la société, la nature
et la technologie, etc.
Christophe : La transition s'est faite en douceur.
Du horse opera (c'est comme ça que les Américains surnomment
le western) au space opera, il n'y a qu'un pas. Il
y a beaucoup de western dans Star Wars. D'ailleurs,
le plan de la ferme en flammes de l'oncle de Luke Skywalker
est un hommage direct à La Prisonnière du désert de
John Ford. Sans parler du saloon-cantina ou du personnage
de Han Solo, qui est une sorte de John Wayne en plus jeune,
un pistoléro… J'adorais également Outland de Peter
Hyams, qui reprenait sans vergogne la trame du Train sifflera
trois fois. J'ai donc été habitué à l'imagerie SF, à la
technologie (la quincaillerie ?), à travers des histoires
très classiques. En littérature, j'avais lu Barjavel (qui
m'avait enthousiasmé) et Huxley (qui m'avait barbé) mais c'était
à peu près tout. En SF, pour la jeunesse, il n'y avait pas
grand chose à part Stefan Wul. Jules Verne, c'était quand
même assez difficile. Autant aller directement à Pierre Boulle,
Wells ou Bradbury... Je ne me suis vraiment intéressé à la
SF littéraire que lorsque j'ai commencé à en écrire. Et j'ai
découvert Franck Herbert, Dick, Dan Simmons...
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Cat : Ton troisième coup de foudre, si j'en crois la
postface de Souviens-toi d'Alamo !, c'est Il était une
fois l'homme…
Christophe : Là, c'est mon côté " pédagogue refoulé
" qui ressort. J'ai vu cette série pour la première fois en 1978
et depuis, c'est bien simple, je n'ai jamais rien vu d'aussi intelligent
à la télévision ! Cette idée de faire voyager les mêmes personnages
à travers les époques, c'est tout simplement… génial ! L'Histoire
était ma matière préférée à l'école. Les histoires vraies sont souvent
hallucinantes. Le Titanic, par exemple, et la succession de petites
erreurs qui conduisent à la catastrophe : c'est incroyable comment
tous les éléments se goupillent dramatiquement, comme dans un scénario
! Et puis après Il était une fois l'homme, il y a eu Il
était une fois l'espace, que je suivais également avec assiduité.
Cat : Nous revoici en pleine science-fiction.
Christophe : D'ailleurs je crois que c'est
le seul dessin animé français de science-fiction, avec les
longs-métrages de René Laloux. J'étais particulièrement séduit
par l'univers, le design des vaisseaux, des équipements
futuristes. Comme je faisais mes propres BD de SF, je recopiais
ces graphismes extraordinaires pour m'entraîner à dessiner.
Je savais qu'ils étaient signés Manchu. Je trouvais ce nom
bizarre. Des années plus tard, pour la couverture de mon premier
roman SF La Nuit des mutants, Denis Guiot m'a soumis
une liste d'illustrateurs. Quand j'ai vu Manchu sur cette
liste, j'ai crié " Je le veux lui !!! Lui !!! " :-)))) . Depuis
nous sommes devenus amis et il dessine (presque) toutes mes
couvertures SF. Mango nous laisse réfléchir ensemble aux illustrations,
et je les en remercie au passage car toutes les maisons d'édition
ne sont pas aussi conciliantes. En fait, le choix de mes couvertures
Autres Mondes se fait à quatre, avec Denis Guiot mon directeur
de collection et Elisabeth de Lambilly-Bresson mon éditrice.
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Un plagiat éhonté de Manchu (Il était
une fois l'espace )
par Christophe, à l'âge de 10 ans
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Cat : C'est à cause de ce côté " pédagogue refoulé "
qu'il y a presque toujours une partie un peu documentaire dans tes
histoires ?
Christophe : Oui. J'adore distiller des choses authentiques
au milieu de la fiction. Et je crois que les gens aiment bien apprendre
des choses tout en se divertissant. En France, celui qui a le mieux
réussi ce mariage, c'est Bernard Werber avec Les Fourmis.
Bon, d'accord, il vend un peu plus de livres que moi :-)))) . Michael
Crichton est également très fort à ce petit jeu là. En B.D., je
pense immédiatement à Hergé ou Jacobs. Le plan détaillé de la fusée
dans Objectif Lune s'inscrit tout à fait dans cette tradition
" documentée " qui remonte à Verne. Cette volonté de l'authenticité
(même fabriquée) est très payante en SF, car elle permet aux auteurs
de s'appuyer sur du concret avant d'extrapoler. C'est un tremplin
pour l'imagination. Et puis en SF, on doit convaincre doublement
le lecteur de la crédibilité de ce qu'on lui propose. Chez nous,
il n'y a pas que les personnages qui sont inventés, il y a aussi
le contexte ! Tous les moyens sont donc bons pour que " ça ait l'air
vrai " !
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Cat : Dans tes romans (La Nuit des mutants,
Titanic 2012, Le Souffle de Mars, Souviens-toi d'Alamo !),
tu aimes placer tes personnages dans des situations extrêmes
qui vont révéler leurs qualités ou leurs défauts. Est-ce parce
que, toi-même, tu te demandes comment tu réagirais dans une
telle situation ?
Christophe : Complètement. Le problème du choix
moral est au cœur de mes romans, tout comme il est au cœur
de l'histoire d'Alamo, de celle du Titanic, ou encore de tout
ce qui touche à la Résistance. Ce sont des sujets qui me passionnent.
Comment l'idée que l'on se fait de nous (le vernis narcissique)
réagirait-elle face au danger ? Serais-je rentré dans le maquis
en 40 ? Je n'en sais rien. A fortiori maintenant que je suis
père de famille ! Je crois que c'est Bruno Bettelheim qui
disait que les enfants ont besoin d'histoires se passant dans
un contexte extraordinaire pour ensuite les transposer dans
leur univers quotidien. On est confronté à des choix moraux
tous les jours. Bien sûr, c'est rarement aussi extrême que
les dilemmes du type : " Est-ce que je dois sacrifier ma vie
pour sauver ma planète ? ", comme dans Le Souffle de Mars.
Mais, même dans les choix les plus insignifiants, il y a souvent
le côté obscur (la facilité, la compromission, le mensonge)
et l'autre côté, le bon. A ce niveau là, la métaphore de la
Force dans Star Wars est une trouvaille géniale !
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Cat : Il y a quelques années, tu es allé au Texas
visiter Alamo : les ruines de la vraie mission, enclavées
dans le San Antonio moderne, ainsi que le décor de cinéma
construit par John Wayne à Brackettville (voir le "Journal
de voyage au Texas"). Comment as-tu vécu ce voyage
aux sources de ton imaginaire ?
Christophe : Ah, c'était formidable ! Ce qui
est incroyable avec les Etats-Unis, c'est qu'on a l'impression
d'être dans un film en permanence : les décors, les voitures
de police avec leur gyrophare, les motels au bord d'interminables
routes… On est comme le héros de La Rose pourpre du Caire
de Woody Allen : on rentre dans l'écran de cinéma ! La vie
est courte ; j'essaie de réaliser mes rêves de gosse pendant
qu'il en est encore temps. Bosser avec Manchu ou avec Albert
Barillé (le créateur de Il était une fois l'homme,
avec qui j'ai travaillé sur un projet de série télé), ce sont
pour moi des rêves de gosse. Le voyage au Texas en était un
autre… C'était une sorte de pèlerinage, très émotionnel. Curieusement,
j'avais l'impression d'avoir toujours connu ces endroits.
Pas seulement parce que je les avais vus à la télé ou en photo.
Cela ressemblait davantage à une impression de " déjà vu ",
les fameux " souvenirs-écrans " freudiens…. En fait, je crois
que certaines histoires parlent directement à votre inconscient.
C'est comme lorsque vous rencontrez la femme (ou l'homme)
de votre vie : vous avez ce pincement au cœur qui ne trompe
pas. C'est pour cela que dans la postface de Souviens-toi
d'Alamo ! je parle de coup de foudre artistique.
(Interview réalisée par mail en août 2002)
© Catherine Pénard-Guiot
2002
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Christophe Lambert
et Marie, sa compagne... dans une autre vie .
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