Invité à la Réunion grâce aux initiatives de l'ADBEN qui regroupe des documentalistes désireux de promouvoir la littérature (encore) vivante et au concours de la Maison des Ecrivains dans le cadre de l'opération "l'ami littéraire", j'ai eu le plaisir de parcourir cette "île-département" durant la semaine du 22 au 29 avril 2001. Un écrivain rencontrant ses lecteurs est généralement un homme surpris et parfois comblé. Le journal qui suit est une trace spontanée de ces rencontres entre un auteur de Science-Fiction et ses jeunes lecteurs sensibilisés par des enseignants et des documentalistes discrets. Merci à tous. Jean-Pierre Hubert mél : jean-pierre.hubert@mageos.com |
Lundi : Première scorie des "cendres
de la Réunion" (en référence aux Cendres
de Ligna). Il faut dire que cette île ressemble bigrement
aux paysages que je décris dans les Cendres de Ligna :
volcans, forêts luxuriantes, vallées sauvages inaccessibles,
etc. Les écrivains ont parfois la chance de découvrir
des cadres proches de ceux qu'ils ont décrits. Ce lundi
23 avril a été chaud et tropical (mais pas trop,
paraît-il ! Nous sommes en hiver et l'eau n'est qu'à
28°). Première constatation faite cette nuit vers
3 heures du matin : le ciel n'est pas le même que chez nous
( une lune couchée, de belles constellations étranges
comme la croix du sud) par contre les moustiques sont identiques
aux variétés boréales. Plus troublant, bien
que prévu, l'eau s'écoule dans le sens inverse des
aiguilles de la montre (SIAM pour les spécialistes de danses
bretonnes). Après un
petit retard prouvant que la ponctualité a
tendance à décroître au fur et
à mesure qu'on s'enfonce vers le sud
profond, je fais connaissance avec mon chauffeur
(mélange très réussi de cafre,
malgache) répondant au prénom de
Jean-Pierre. Il n'est pas un Zoreille (surnom
donné aux autochtones d'origine
européenne), bien sur, mais un
Zoréole (il est d'origine créole). Il
est taxi-driver d'auteurs zoreilles et
métros (les gens de la métropole)
pour deux semaines, c'est un métier
provisoire qui lui plaît bien. Comme nous
sommes en retard, nous faisons un petit
détour par les hauts pour admirer quelques
ravines et des lauriers roses. Le lycée
Stella nous attend au milieu des bougainvillers
sans se formaliser de notre retard de trois quarts
d'heures. Les adolescents qui m'accueillent sont
d'un tempérament très doux. C'est
idéal pour parler du bienfait des plantes
dans les forêts de Ligna. A l'issue de
l'animation, nous nous promettons de poursuivre le
dialogue par mél, déjà
dynamiquement impulsé par la jeune
enseignante Carine Pressaco. On me communique une
dizaine de feuillets (les nouvelles et les projets
d'écriture de ces jeunes pratiquants de la
plume). Repas en cantine
fumeur (on peut le signaler, excusez-nous M. Evin!)
et trajet par la route du littoral qui a la
particularité peu digestive d'être
aussi encombrée que le
périphérique parisien et d'avoir
emballé la montagne instable surplombante
dans de grands filets métalliques,
très essèfes. Le Lycée Evariste de Parny
de Saint Paul est également fleuri et les élèves
sont tout aussi beaux (belles). Monsieur Géradou (un homme
qui enseigne les lettres, c'est une espèce relativement
rare) est un passionné de thèmes écologiques
et des études faites actuellement par une équipes
de chercheurs français explorant la canopée du Gabon
avec un dirigeable et une "luge" posée sur le sommet des
arbres tropicaux. La forêt de Ligna l'enchante et ses élèves
délirent sur le figuier étrangleur et les bambous
à pousse ultra rapide. Là aussi, promesse de courriels
futurs, déchirure du départ. Il faudra décidément
que je revienne à la Réunion. On me demande quels
seront les thèmes de mes prochains romans, j'évoque
Sa Majesté des clones. Enthousiasme... et on me promet
d'écrire la première page. J'accepte, mais sans
signer des contrats sur les droits d'auteur. Je suis un peu
fatigué et je n'ai pas encore réussi
à tremper un doigt de pied dans le lagon
à 28°, demain je fais grève (de
sable noir) entre deux interventions. Ciao, je vais
manger un cari poulet arrosé de punch coco
et, en guise d'apéritif, engloutir une dodo
(bière locale) car, comme l'annoncent
partout les pancartes : "la dodo lé
là !" |
Mardi Aujourd'hui le souriant Jean-Pierre est à l'heure. Le ciel est dégagé, les tulipiers du Gabon en fleur, et les carrosseries des voitures toujours aussi bien lavées. Nous sommes attendus au Lycée de la Rivière par la peu conformiste Madame Guédat. Des groupes s'affairent au CDI transformé en salle d'exposition. Ici une maquette des buildings décrits dans Je suis la mort mon dernier roman destiné aux adultes, là un livre de recettes SF, on me met entre les mains un paquet de nouvelles écrites par les élèves. Je prends des photos au milieu des applaudissements. La séance de questions réponses est menée tambour battant et on couronne le tout par un petit atelier d'écriture. Racontez votre rencontre avec un ET en prenant en compte les mots suivants tirés au hasard dans le dictionnaire : "mordu", "évoluer", "rétréci", "dysorthographique", "pêcherie", "inconstant". Le résultat tourne autour de l'histoire d'une créature marine venant d'une lointaine planète qui n'est pas fichue de s'exprimer sans fautes, mais ce n'est pas grave parce qu'elle est d'un naturel inconstant et distrait... Petit pot d'adieu avec spécialités créoles. C'est chaud ! L'après
midi on passe au grands : une classe de terminale
en arts appliqués au Lycée
professionnel de Saint Pierre. Une foule de visages
polychromes. Qu'ils sont décoratifs ces
jeunes gens et ces jeunes filles aux sangs
mêlés! Ce ne sont pas
de grands lecteurs, leur dope c'est les arts
graphiques. On parle d'Adobe, des prem de couv
(est-ce une contrepèterie ?) et
carrément du sens de la vie (où
suis-je, que suis-je, dans quel état j'erre
?) C'est très agité et bouillonnant
de questions lorsque je parle de
l'égalité des sexes, de mon
antimilitarisme, de mes convictions
écologiques et de mon indifférence
à la famille. Visiblement ces thèmes
éveillent les passions. On ne veut plus
me laisser partir, on m'offre des dessins, des
marque-pages (quatre d'entre eux illustrent ce
journal), on me demande d'apposer ma signature sur
tout, on me promet de lire ce que j'ai
écrit. On m'accompagne jusqu'au parking et
mon chauffeur, estomaqué par une miss
Réunion en jupette blanche qui porte mes
affaires, me dit que je n'ai pas dû
m'ennuyer. Je confirme et nous allons boire une
bière, face à la mer en regardant le
soleil qui, pressé, se couche à 18
heures... Je n'ai toujours pas eu le temps de ma
baigner. |